Comment ? Pas de monument aux morts de 14-18 ?

Les mystères de Trélazé
jeudi 2 janvier 2014

Un article du journal Ouest-France, publié le 7 décembre sur le site du quotidien, évoque « l’enquête policière » à laquelle se seraient livrés un groupe de citoyen-ne-s de Trélazé sur l’absence à Trélazé de monument aux morts de la Première Guerre mondiale [1].
C’est l’occasion pour nous de citer le communiqué commun publié le 1er janvier 1921 dans l’hebdomadaire socialiste L’Effort Social, organe de l’Anjou Socialiste, Syndicaliste, Coopératif. Rappelons qu’à cette date, l’écrasante majorité du Parti socialiste vient de décider d’adhérer à l’Internationale communiste, rejetant ainsi la fraction de ses dirigeants qui avait apporté leur soutien à la guerre et à l’Union sacrée en 1914 [2], guerre qui venait de provoquer 9 millions de morts, dont 1,4 million pour la France.
Remarquons que ce communiqué est signé conjointement du Conseil municipal (majoritairement socialiste), du groupe socialiste et de la Fédération ouvrière et paysanne des mutilés (FOP). Que dit-il ?
« Le Conseil Municipal de Trélazé, saisi par un comité, composé dans sa grande majorité des réactionnaires les plus notoires, d’une demande de crédits pour l’érection d’un monument aux morts de la guerre, a, au cours d’une de ses séances publiques [3] , décidé de faire publier la résolution ci-dessous.
A cette résolution s’associent pleinement les sections du Parti Socialiste et de la Fédération Ouvrière et Paysanne des Mutilés, Réformés, Veuves et Orphelins de guerre.

Monument aux Morts de la Guerre

Le Conseil Municipal de Trélazé est opposé à l’érection d’un monument aux Morts de la guerre pour les raisons suivantes :

1° Les Morts n’ont besoin de rien. Ils voulaient vivre. On les a fait mourir. Le mal est irréparable. Un monument n’y changerait rien.
2° Les monuments aux Morts servent, en France à entretenir la haine contre les Allemands, en Allemagne à entretenir la haine contre les Français. Ils aboutissent donc à créer de nouveaux germes de guerre.
3° Si les monuments qui s’élèvent un peu partout en France étaient vraiment un hommage aux morts on y lirait :
Guerre à la Guerre
Maudits soient ceux qui l’ont voulue et ceux qui l’ont prolongée ;
Maudits soient ceux qui en font et en préparent de nouvelles.

4° Les matériaux, la main d’œuvre et l’argent qui sont employés à faire des monuments le seraient beaucoup mieux à faire des œuvres utiles aux vivants, en particulier des habitations.
Avec l’ensemble des sommes dépensées pour cet objet sur le territoire, on eût pu reconstruire un certain nombre de maisons dans les régions dévastées.
Pour les raisons ci-dessus le Conseil refuse non seulement d’associer la commune de Trélazé à l’érection d’un monument, mais encore d’autoriser cette érection sur un terrain communal
. »

De fait, au lendemain de la guerre, le sentiment pacifiste était très fort, en particulier dans une commune où le syndicalisme révolutionnaire et antimilitariste de la CGT d’avant-guerre avait été important, notamment chez les ardoisiers.

Il y eut un rebondissement à cette affaire : en effet, le 2 mars 1921, le préfet Borromée adopta un arrêté dont voici un extrait :
« Considérant que s’il est loisible au Conseil municipal de Trélazé d’élever ou non un monuments aux morts de la commune, il ne lui appartient point, par contre, d’apprécier et d’interpréter comme il l’a fait le sentiment hautement patriotique qui pousse les communes à honorer, par l’érection d’un monument, la mémoire de leurs morts, tombés pour la défense de la patrie.
Que ce faisant l’assemblée communale est sortie de ses attributions légales.
[Le Préfet de Maine-et-Loire] Arrête :
Article 1er. - La délibération du 11 décembre sus-visée est déclarée nulle de plein droit sauf en ce qui a trait au refus d’associer la commune de Trélazé à l’érection d’un monument et d’autoriser cette érection sur un terrain communal.
La partie de la dite délibération depuis les mots : « pour les raisons suivantes… jusqu’à inclusivement… pour les raisons ci-dessus » sera bâtonné sur le registre, en marge duquel il sera fait mention de l’arrêté d’annulation.
Article 2. - M. le Maire de Trélazé est chargé de l’exécution du présent arrêté. »

Le Conseil municipal de Trélazé répliqua par la motion suivante, adoptée dans sa séance du 13 mars :
« Le Conseil municipal, comme suite à la lettre préfectorale annulant la partie de l’ordre du jour du Conseil municipal ayant trait à l’érection d’un monuments aux morts tombés pour la défense de la patrie et que le Conseil de préfecture juge injurieuse pour les autres communes.
Le dit Conseil municipal de Trélazé, estimant avoir fait son devoir vis-à-vis de la population en la mettant en garde contre la propagande d’un parti qui prépare de nouvelles guerres, estime que la meilleure réponse à faire à l’arrêté préfectoral est de lui donner la plus grande publicité et décide que le texte de la lettre préfectorale sera envoyé in-extenso à la presse. »

L’arrêté préfectoral fit ainsi l’objet de la moquerie de la presse socialiste et communiste locale [4], qui se fit un malin plaisir de le reproduire en entier, ce qui permettait effectivement de publier à nouveau le texte intégral de la délibération du Conseil municipal de Trélazé !

Cette décision du Conseil municipal de Trélazé fut toutefois exceptionnelle : on estime en effet le nombre de monuments aux morts en France à environ 38 000, soit à peu près autant que de communes. Signalons pourtant que le monument aux morts construit en 1922 par la commune de Gentioux dans la Creuse porte l’inscription « Maudite soit la Guerre » [5] qui est bien dans le même esprit antimilitariste ou pacifiste que la déclaration des conseillers municipaux de Trélazé.

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Le monument aux morts de Gentioux (Creuse)

La question des monuments aux morts resurgit le 9 avril 1921 dans l’Anjou communiste, dans un article signé P.L., où l’on peut lire :
« Un Monument aux Morts du Carnage
Tout est sens dessus-dessous à Angers. Le maire ne préside plus les séances du Conseil municipal.
Pensez donc, impossible de trouver une place pour le monument aux assassinés des capitalistes internationaux. M. X… propose le Jardin du Mail, M. Y… la cour de la Mairie, M. Z… un coin du jardin de la Préfecture, et enfin un Monsieur de… quelconque propose la place de Monseigneur Freppel.
Moi, je fais la proposition suivante à ces messieurs :
La commande du monument sera si possible annulée, sinon le monument sera vendu à un riche patriote (et ils sont nombreux) qui pourra le placer dans son parc. L’argent sera employé à faire construire des maisons pour loger les familles qui habitent dans des taudis où la tuberculose est installée en maîtresse.
Je suis certain que les morts de la guerre, s’ils le pouvaient, approuveraient ma proposition ; ils aimeraient mieux savoir leurs femmes et leurs enfants logés sainement que de savoir la ville d’Angers possédant un monument rappelant leur misère et organisant une mascarade pour permettre une fois de plus aux grands voleurs de la tuerie 1914-1919 de parader et crier : Vive la Patrie ! »
A ce moment-là, communistes et socialistes d’Angers et de Trélazé étaient bien sur la même longueur d’ondes.

Quant à la différence entre le nombre total de décès de Trélazéens au front (entre 220 et 250) et la liste qui figure sur la plaque commémorative de l’église (66 noms), elle correspond au fossé qui séparait une population ouvrière majoritairement athée, libre-penseuse et anticléricale, à l’image du leader ardoisier Ludovic Ménard (1855-1935), et une Eglise catholique qui acceptait encore difficilement l’idée même de république. Cette opposition se marqua notamment par l’attribution à la place de l’église du nom de Francisco Ferrer, un pédagogue libertaire, fondateur de l’Ecole Moderne de Barcelone, où il fut fusillé le 12 octobre 1909,après avoir été traduit devant un tribunal militaire comme « ennemi de l’Eglise », comme on l’a présenté alors, au lendemain d’une grève générale insurrectionnelle en Catalogne (26-30 juillet 1909) [6] . L’église de Trélazé ne pouvait accueillir les noms des « mécréants » et ces derniers n’en auraient certainement pas voulu non plus…


[2Le Parti socialiste, section française de l’Internationale communiste, deviendra Parti communiste seulement en juin 1921, ce qui évitera la confusion avec le Parti socialiste maintenu de la minorité regroupée autour de Léon Blum, qui restait dans l’Internationale socialiste.

[3Le 11 décembre 1920.

[4Dans le 1er numéro de L’Anjou Communiste, Syndicaliste et Coopératif, qui parut le samedi 19 mars 1921, et un peu plus tard, dans le n° 120 du samedi 9 avril 1921 de L’Effort Social, qui dénonça la censure exercée par le préfet.

[6Cf. Francisco Ferrer, Cahiers de l’Institut d’Histoire des Pédagogies Libertaires, n° 1, Ivan Davy éditeur, Denée, 1984.


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